Durement touchée par la crise de 2008, Pillivuyt a vu son chiffre d’affaires fondre et a réduit le nombre de ses salariés. Il y a deux ans, elle décidait de parier sur le design. Grâce à de nouvelles collections, des réductions de coûts et des départs à la retraite non remplacés, elle a retrouvé la rentabilité en 2016 et veut renforcer sa présence dans les circuits de distribution grand public. Si elle est leader sur le marché de l’hôtellerie/restauration et exporte 60% de sa production à l’étranger, son nom reste peu connu des Français. Pour y remédier, l’entreprise veut faire parler d’elle, se montrer sous un jour nouveau. La série limitée est de ces modes de communication par l’objet qui ont fait leurs preuves. A condition d’être cohérente avec la marque, le circuit de distribution et les consommateurs recherches. En mêlant soucis écologique, personnalisation et fait-main, la collection semble cocher toutes les cases.
Comme déchets inertes, la porcelaine cuite n’est pas recyclable. Mise en miettes, elle peut combler des remblais ou même alimenter le bitume (cf. les rues en porcelaine de Colas à Limoges) mais cet avenir est bien peu enviable pour une porcelaine destinée aux plus belles tables. Comment revaloriser une telle matière première ? Par un semis ? Ce vieux truc de céramiste et de porcelainier permettait, en semant un bleuet par-ci, un bouton de rose par-là , une étoile peut-être, de cacher les imperfections. « A défaut » ou non, toutes les assiettes se retrouvaient au même rayon. Une manière de tricherie qui ne serait pas à la hauteur de la vénérable dame qui fête ses 200 ans l’année prochaine. Montrer plutôt que cacher ? En 2012, l’agence CoDesign de Hong-Kong et l’alliance de designers 3X avaient lancé I’mperfect (je suis un parfait) une série de mug où le défaut est mis en avant par deux graphismes : au centre d’un cercle comme dessiné à la main et siglé I’mperfect, ou comme cochant la case Perfect d’un mini questionnaire où reste vide le carré I’mperfect. De l’humour pour une marque de fabrique relevant la différence et l’unicité de la pièce. Le packaging, de son côté, souligne : « same quality, same fonction » pour vanter une démarche écoresponsable sur une boîte en carton des plus sobres. Entre le trop de maquillage et le sans fard, les Sismo ont privilège une voie médiane, en adéquation avec les valeurs de la marque Pillivuyt : la « tache avantageuse ».
Une tache avantageuse ? La périphrase, imaginée par les Précieuses, désignait au XVIIe siècle ce petit morceau de taffetas ou de velours à poser sur le visage. Une mouche. Qui servit d’abord à masquer les boutons, les traces de la variole (alors appelée petite vérole pendant les épidémies du XVIIe siècle) ou autres cicatrices et s’employait par poignée. Mais l’artifice révélait aussi, comme le grain de beauté, un teint de porcelaine. Un artifice utilisé de longue date – plutôt sous forme de tatouage -, par les Perses et les Arabes. Née d’une idée de soin, la mouche devient au XVIIIe un signe de singularité et de promotion de soi-même. Avec son langage, ses secrets. Comme un tatouage pour dire l’essence de celui qui la porte, la révéler. La mouche apparaît en effet derrière le nom de la collection Grain de beauté, mais aussi dans son graphisme. Trois thèmes ont été dessinés : la trace dorée, en pointillés, du trajet aléatoire de l’insecte ; des cercles concentriques, parfois brisés, comme l’onde de la chute d’un caillou dans l’eau et enfin, la silhouette d’une pivoine dessinée à la va-vite. A chaque fois, un décor est positionné sur la tache de la tasse, de l’assiette ou du mug.
« L’idée de soin, de valoriser l’objet irrégulier vient aussi du kintsugi, cet art japonais de la réparation à l’or, raconte Antoine Fenoglio, co-créateur de l’agence des Sismo, nous l’avons découvert grâce à un autre de nos autre clients, Iwachu. L’imperfection est l’essence de la beauté au Japon, une vraie philosophie, parfois difficile à aborder pour des occidentaux. Nous avons pris en compte ces préceptes. »
L’accident est l’occasion d’une réflexion sur l’objet. L’attention qu’il réclame, le soin qui lui est apporté permet de changer le regard sur son essence. De la tache, parce qu’elle est soignée, naît une histoire. Chaque pièce, numérotée, est vendue avec un certificat portant la mention : « Pillivuyt a sauvé et magnifié pour vous cette pièce pour la rendre unique. Nous pensons que toute irrégularité reste beauté à part entière. » Le document est signé par l’une des trois décoratrices qui a posé le décor. Des salariées formées pour l’occasion et qui ont ainsi changé de statut. De simple faiseurs, elles sont devenues artisans, signale David Burnel. L’attention à l’objet a développé de nouveaux savoir-faire. L’assiette non-conforme et valorisée a déclenché une chaîne de soin du salarié à la marque. Cette dernière s’avance aux marches des musées. C’est le 107, la boutique des Arts décoratifs qui l’accueille en exclusivité. Arteum, le gestionnaire, veille à l’adéquation de la boutique avec le musée (dans les collections, nous avons trouvé un plat Pillivuyt datant de 1879 et représentant une lutte entre deux samouraïs), privilégie le « made in France », les pièces rares et les signatures d’artistes ou de designers. Par soucis de marketing ce sont donc 107 pièces uniques qui ont été produites pour l’occasion. Des assiettes, des tasses, des sous-tasses et des mugs, dorés à l’or fin, grand feu (donc passant au four et au lave-vaisselle) vendus 30% plus chers que les autres pièces nées parfaites. Soizic Briand
Cet article a été initialement publié sur le site Admirable Design.